Mise à jour le 05/04/2018

Saint-Méen

SAINT-MÉEN FONDATEUR D’UN PRIEURÉ AU CELLIER VERS L’AN 600

Guy-Jean RAVARD

Dans la commune du Cellier, au village de Saint-Méen, se situe une petite chapelle dominant la Loire, qui témoigne de son saint fondateur et d’une ancienne vie monastique.

CHAPITRE I - QUI ÉTAIT SAINT-MÉEN ?

Les vies des saints bretons furent élaborées sur la base de récits hagiographiques qui s’étalèrent du VIIe siècle au XIIIe siècle et ils doivent être examinés avec prudence. Les différentes versions de la vie de Saint-Méen furent écrites à partir de la première vita rédigée par le moine Ingomar, abbé de Saint-Jean-de-Gaël, dont on pense qu’elle date de 1024, année de sa restauration par le duc de Bretagne, Alain, après les invasions normandes. Les historiens ont également puisé leurs sources d’information dans les vies de Saint Samson et Saint Judicaël, respectivement maître et disciple de Saint-Méen. Par ailleurs, les dates relatives à sa naissance et à sa mort ont donné lieu à des versions différentes et ne peuvent être citées qu’à titre indicatif.

Méen, de son vrai nom Conald Méwen (ou Méwan en Gallois) naquit vers l’an 520 au Pays de Galles, province de Cambrie, dans une petite ville qui s’appelait Orkh, dépendant du petit royaume breton de Gwent, nommé aujourd’hui Archenfield et situé dans le comté d’Héréford, à la limite de celui de Monmouth.

Il était issu d’une famille noble et son éducation fut très vite confiée à son oncle Samson, archevêque d’York et futur évêque de Dol. Samson avait lui-même acquis une solide instruction dans le célèbre monastère d’Ildut à Llantwit Major, dans le sud des Galles, celui-ci étant réputé pour ses qualités intellectuelles et pour sa formation de missionnaires.

Selon l’historien Dom Plaine, Méen âgé d’une vingtaine d’années, suit Sansom et Magloire dans leur expédition vers la Bretagne Armoricaine. Ils quittent en effet l’île de Bretagne en 548 et débarquent dans un petit port proche de Dol, entre le Couesnon et la Rance, où Samson fonde très vite un monastère avec l’aide de Méen. À cette époque, les côtes armoricaines avaient déjà vu arriver une série d’émigrants venant de Galles et de Cornouaille qui fuyaient la poussée des Saxons et des Angles, voire également des Scots Irlandais. À ce phénomène s’ajoutait également une épidémie de peste bubonique importée d’Egypte en Bretagne insulaire. Bien sûr, l’arrivée de religieux en Armorique était également motivée par un souci d’évangélisation, dans une région où des communautés chrétiennes existaient déjà, mais étaient sérieusement concurrencées par des pratiques héritées d’une tradition celtique toujours vivante.

Vers 570, Méen obtint de Samson l’autorisation d’établir son propre monastère à Gaël, à l’intérieur des terres, sur les bords de la rivière Le Meu (près de l’actuelle ville de Saint-Méen le Grand). Pour la première fois, une fondation religieuse s’implantait au coeur de la Bretagne en pleine forêt.

Entre 580 et 600, il effectue au moins un voyage à Rome, ce qui était habituel à cette époque, tant pour les clercs que pour les laïques. En se dirigeant vers Rome il procède à l’installation d’un deuxième monastère au Cellier, dans des circonstances que nous évoquerons ultérieurement.

Il s’éteint peu de temps après son séjour au Cellier, le 21 juin de l’année 617, selon le chanoine Garaby, de l’année 640 selon Dom Plaine (à l’âge de 120 ans), en 665 selon Albert Le Grand ou en 677 selon Dom Lobineau qui le dit presque centenaire (ce qui ne correspond pas aux chronologies antérieures). La date de 665 semble être la plus probable.

Un trait de son personnage est souligné par les historiens : comme beaucoup de religieux qui lui sont contemporains il pratique plusieurs fois des miracles et se trouve mêlé à la vie politique de son temps, en fréquentant la cour du roi des Francs, Childebert, afin d’intercéder dans une affaire de succession interne au trône de Bretagne.

Samson représenté en évêque est toujours représenté tenant en main le bâton pastoral sommé d’une croix et porte le pallium qui fut conféré par Rome aux évêques de Dol pour les consoler d’avoir perdu leur titre de métropolitain.

CHAPITRE II - LE PRIEURÉ DE SAINT-MÉEN AU CELLIER

1 - Les origines

La chronique de Nantes rédigée par Pierre Lebeau, situe la fondation du prieuré vers l’an 600, ce que semblent confirmer les sources hagiographiques qui relatent le pèlerinage à Rome.

En effet, en se rendant à Rome (version la plus probable mais présentée différemment par certains auteurs qui le situe de retour de Rome), il s’attarde à Angers, sur la demande de son évêque Saint-Maur, afin d’y prêcher dans son diocèse. C’est à cette occasion qu’intervient la légende du dragon dont nous retiendrons le récit du chroniqueur René Benoît, éditeur de la vie de Saint-Méen écrite par Pierre Viel, dans sa deuxième édition de 1587 : « Une femme noble et riche, et qui faisait profession de religion estroicte, pour s’être consacrée au service de Dieu, elle soit garantie de la peur d’un horrible serpent, lequel faisait sa demeure en certain boccage, situé au plus beau endroit de ses terres et domaine. De façon que pour crainte de luy, ses terres n’estoient cultivées et desjà il avoit dévoré beaucoup d’hommes qui passoient leur chemin auprès. Le fidèle serviteur de Dieu ne refusa entreprendre cette commission, et d’autant que la lieu ou gisoit tel serpent estoit au destroit d’entre Saint-Florent et Clermont, sur le diocèse et chemin de Nantes, il se fit là conduire ».

Nous retrouvons ce récit, à quelques détails près, dans l’ouvrage ultérieur d’Albert de Morlaix, édité par Lobineau puis Kerdanet et celui-ci désigne bien le village de Saint-Méen, au Cellier. Albert de Morlaix est le seul historien à faire état d’un détail intéressant : avant d’attaquer le monstre, Méen prie Dieu et célèbre la sainte messe dans une église voisine qui devait se situer au village de Vandelle, connue alors sous le vocable de Notre-Dame du Cellier unie à l’abbaye de Redon.

Après s’être recueilli, le saint homme se fit accompagner jusqu’au repaire du serpent, situé sur les bords de la Loire, près du village actuel de Saint-Méen. Le religieux ayant ordonné au monstre de sortir, celui-ci parut « étincelant des yeux, froissant la terre de ses écailles et faisant un sifflement si extrêmement horrible que tout le pays voisin en retentit ». C’est alors qu’il lui mit son étole autour du cou et le conduisit vers le fleuve où il lui ordonna de s’y jeter et de disparaître à jamais.

Une controverse a été entretenue sur le site exact, certains historiens citant un lieu-dit à proximité de Saint-Florent-le-Viel.

Un document, découvert par le baron Gaëtan de Wismes et porté à la connaissance de la société archéologique de Nantes en 1894, atteste d’une façon irréfutable la présence de ce récit dans la commune du Cellier. Il s’agit de la découverte d’une plaquette de huit pages que l’historien fait remonter au XVe siècle et intitulée : « La vie de monseigneur Saint-Méen dont le jour de fastes est le XXIe jour de juing ».

Le baron de Wismes extrait de cet article anonyme et non daté le passage suivant tiré d’une oraison en latin :

Vous auiez tous dis este veu
Glorieux vray sainct debonnaire
En charité aumosne emeu
Tesmoing la journée de sus laire.
Sus laire au roc de hault arpent
Jouste dune vostre chapelle
Vous côquestates le faulx serpent
Sainct Méen sus laire on lapelle
Qui par la grant poeson cruelle
Il mettoit tout a poureté
Par vostre vaillance réelle
Il fut destruit et déserté
Deserte fut et mis a let
Par vous tant fustes bon ouurier
Par le col o vostre galet
Le meniez comme ung leurier
En faire le feistes noyer

Et de par dieu coneurastes
Le pays en feistes délivrer
Qut de par dieu le conquestates
Que tout le peuple vous donna
Côquester fustes moult de biés
Que tout le peuple vous donna
Queul dônastes aux poures gês
Pour l’amour dieu en ce pays la
Lors une dame vous donna
Quant eustes gaignée la victoire
Sur le serpent et résina
La terre ou est sainct Méen sur loire
Sus laire sainct Méen mention
Sera iamais perpétuelle
Et de votre exaltation
Et vertuz spirituelle.

C’est donc bien sur cette terre du Cellier que Saint-Méen bâtit un prieuré dépendant de son monastère de Gaël où « il y mit de ses religieux et en vétit d’autres » selon Albert Le Grand qui ajoute que le saint homme y demeura quelques temps afin d’y évangéliser les campagnes avoisinantes.

Par ailleurs, les témoignages des anciens occupants du village de Saint-Méen situent à proximité de la chapelle et sur le coteau, un rocher dénommé depuis longtemps « le rocher du dragon de Saint-Méen ».

Revenons à la légende du Saint tueur de dragon : celle-ci est assez courante à cette époque. En effet, Saint-Samson, le maître spirituel de Méen, ainsi que Saint-Malo, sont cités pour des exploits identiques (comme bien d’autres Saints de Bretagne et d’ailleurs). Bernard Merdrignac dans ses « vies de saints bretons durant le haut Moyen-Âge » explique que ces récits traduisent des campagnes menées contre la survivance de cultes païens, d’origine celtique, et qui n’étaient d’ailleurs spécifiques ni à la Bretagne, ni à la période chrétienne (cf. la mythologie grecque avec Percée et Andromède).

2 - La restauration du monastère

Comme la plupart des édifices religieux, le monastère du Cellier fut détruit lors des invasions normandes du IXe siècle de même que celui de Gaël au siècle suivant.

Au XIe siècle, Alain, duc de Bretagne, s’attache à relever les monastères et les églises de leurs ruines. C’est ainsi que l’abbaye mère de Gaël, qui portait déjà le nom de Saint-Méen, fut restaurée vers l’an 1024 et placée sous l’autorité de l’abbé Hinguethen (chronique de Nantes de Dom Lobineau). Les historiens situent la reconstruction du prieuré de Saint-Méen du Cellier, en 1132, à l’initiative d’un baron de Retz nommé Guéthénoc. Celui-ci est mentionné dans « l’histoire généalogique des seigneurs de Raiz » où il assiste en 1127 à Redon, à la consécration du grand autel de l’église Saint-Sauveur aux côtés d’autres grands seigneurs, dont un certain Guéthénoc, seigneur d’Ancenis. Nous n’avons pu établir s’il existait un lien de parenté entre les deux personnages. L’homonymie est d’autant plus troublante qu’en 1132 également, Guéthénoc d’Ancenis relève au Cellier l’ancien monastère de Mont-Clair, désormais dénommé prieuré de Saint-Philbert.

3 - Description du prieuré

Un aveu daté du 17 juin 1679 donne une description très précise de ce prieuré placé sous l’autorité de messire Perron, demeurant au lieu noble de la Noë en Vallet. Il consistait alors en chapelle, logis avec une chambre et un grenier au-dessus, un jardin derrière ladite chapelle, une pièce de terre à la suite appelée l’abbaye, plantée en partie en vigne d’une contenance de treize boisselées, et quatre autres pièces de terre. Quelques rentes sont également signalées, ainsi que les deux-tiers des terres du fief de Saint-Méen.

Par ailleurs, la chapelle de Saint-Symphorien de Couffé était une dépendance du prieuré, avec les dîmes de La Moinie, fief où est bâtie cette chapelle, et le tiers des dîmes sur un autre fief. Ce prieur commanditaire jouissait de ce domaine depuis 1675 par acte de procuration avec Etienne du Barres.

La chapelle Saint Mathurin, de Ligné, était également une dépendance de cet ancien prieuré de Saint-Méen.

4 - La règle monastique

Jusqu’en 818, les fondations religieuses bretonnes respectaient toutes les règles du moine irlandais Saint Colomban, en affichant une distance par rapport à l’Église franque représentée localement par l’archevêque de Tours. En 818, Louis le Débonnaire imposa la règle de Saint-Benoît.

Noël-Yves Tonnerre, dans sa « naissance de la Bretagne », estime que l’abbaye mère de Saint-Méen de Gaël fut la première abbaye bretonne à recevoir un diplôme d’immunité pour ses possessions et privilèges et qu’elle a joué un rôle essentiel dans la politique religieuse carolingienne en Bretagne. Selon le révérend Père Dom Plaine, l’empereur ne lui imposa pas la nouvelle règle bénédictine, mais cela révèle peut-être qu’elle y était déjà en vigueur (cf. Noël-Yves Tonnerre, ouvrage précité p.79, note 4). On peut en effet penser que les voyages de Saint-Méen à Rome, et sa rencontre en Anjou avec l’évêque Saint Maur, ne furent pas étrangers à l’influence de ce courant réformateur.

CHAPITRE III - LE PÈLERINAGE DE SAINT-MÉEN

Le prieuré du Cellier était une des étapes pour les pèlerins se rendant au monastère de Saint-Méen en Ille-et-Vilaine, ce dernier ayant commencé peu de temps après la mort du saint, et s’étant développé plus encore après sa mort, bien au delà des frontères de la Bretagne, puisqu’il est attesté dans toute l’Europe. Ànoter que la tradition Orthodoxe conserve sa dévotion.

Don Lobineau fait même remonter ce pélerinage jusqu’au VIIe siècle, soit à l’époque même de la création du monastère, et il se perpétua jusqu’à la veille de la Révolution. Mais c’est au XIe siècle, après le retour des reliques du saint, qu’il se développa surtout.

Cette ancienne dévotion était liée au culte traditionnel des fontaines sacrées et provenait d’une source que le saint fit jaillir lors de la construction de son monastère de Gaël. Cette eau était sensée soigner une espèce de lèpre, sorte de gale qui rongeait le corps et surtout les mains jusqu’à l’os, maladie surnommée « mal Saint-Méen ».

Alain Croix dans son ouvrage « la Vie, la Mort, la Foi » avait été amené à s’intéresser à ce pèlerinage mais celui-ci est surtout analysé méthodiquement par Jean Christophe Brilloit, dans un article publié par les Annales de Bretagne de 1986, sur la base de la consultation d’un registre ouvert à cet effet à l’hôpital Saint-Yves de Rennes en 1650 et 1651. Les 2867 pèlerins recensés, chiffre considérable, proviennent essentiellement de toute la moitié nord de la France, jusqu’à Boulogne et Nancy avec une forte concentration en provenance de la Bretagne, de la Normandie, du Maine et de l’Anjou. Ce culte se propageait principalement par les moyens de communication traditionnels : les routes et les chemins, ainsi que les fleuves pour les paroisses traversées par la Loire et la Sarthe. Ce pèlerinage était surtout un phénomène rural, s’échelonnant sur toute l’année, mais avec une forte concentration au printemps, notamment le jour anniversaire du saint. Pour les personnes venant du Maine et de l’Anjou, le voyage durait entre dix et quinze jours et le séjour au monastère d’Ille-et-Vilaine pouvait durer un mois.

Le prieuré du Cellier était un lieu de repos pour ces pélerins, attesté par les registres paroissiaux qui mentionnent l’inhumation le 22 juin 1651, devant la porte de la chapelle, du corps de Nicolas Barbot, originaire de Montrelais et décédé la veille, soit le jour même de la fête du saint. Un autre décès est également signalé en 1653.

Signalons égalment que ce prieuré et les maisons attenantes et toujours existantes étaient une halte dans le cadre du pèlerinage breton vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

CONCLUSION

La chapelle de Saint-Méen, aussi modeste soit-elle, fait partie du patrimoine culturel de la commune du Cellier. Elle témoigne de la place importante jouée par les fondations religieuses dans la création des paroisses, premières entités juridiques organisées des communautés de personnes.

Elle rappelle également la mémoire de son fondateur, personnage attachant qui, au delà de la légende, s’identifie à l’histoire de la Bretagne ainsi qu’à une période fascinante de celle-ci : celle du christianisme celtique.

Malheureusement cette chapelle est aujourd’hui en danger car elle menace de tomber en ruine. Il devient en effet urgent qu’une solution puisse être trouvée afin de lui éviter le sort de bien d’autres chapelles rurales.